27 mai 2012

Cosmopolis, de David Cronenberg


"Y'en a un qui rigole..."

ou : un parallèle filé convaincu et assez peu pertinent entre deux réalisateurs dont vous me direz sûrement - et je suis bien d'accord - qu'ils ne se ressemblent guère.

ou : David Cronenberg, l'autre de Woody Allen.

ou : une non-critique de Cosmopolis, dans laquelle vous n'apprendrez finalement pas grand-chose sur le film, et qui ne vous permettra sûrement pas de vous faire une opinion.
ou : A poil ! 


Or donc Cosmopolis divise et ne tolère pas la tiédeur. Sur la toile, le NON est plein de hargne ("Jamais plus !", "Quelle merde/bouse/daube/sottise/crotte/ratatouilletiédasse/chose !") ou fait des jeux de mots douteux en rapport avec une célèbre marque de bière. Le OUI se veut plus sobre, et préfère le vin : "un bon cru", "un Cronenberg réussi"... David n'a que cela de commun avec Woody (Allen) : un attelage encombrant de techniciens en rangement qui semblent ne voir leurs films que pour décider s'ils sont "majeurs" ou "mineurs". Une étiquette, et la messe est dite. Comme si tous leurs films étaient voués à se lire sur la même portée, à s'apprécier selon les mêmes critères. Comme si, chaque fois le cinéaste, à peine vidé de sa sève, revenait à la barre pour être jugé sans pitié par son oeuvre. 


L'inverse n'est pas vrai non plus. Chez Cronenberg, comme chez Woody Allen, les films invitent à se lire en réseau. C'est presque irrésistible. D'hantises en obsessions, d'accidents redoublés en récurrences, le JE imaginant se crie d'une scène à l'autre, dessine, vous trempe de sa sueur devenue familière. Parfois, c'est un élan vers le neuf. Parfois, c'est un retour, un repli, un retard. C'est presque irrésistible, mais cela ne va pas souvent loin.

Le réseau est prison. De film en film, les rêveries anciennes perdent leur coeur, les idées souffrent d'avoir été portées une fois, deux fois, dix fois, de tomber mal, comme un vêtement sur un corps vieilli, toujours moulé au jeune corps. Chez Allen, les textes légers qui répètent l'angoisse de mort, l'ossature décrépie des blagues. Chez Cronenberg, la femme dévorante et la femme glacée, les défauts d'âme, la marche assurée vers le pire dans le glauque, et ce tour de passe-passe chéri qui consiste à ne jamais vraiment montrer ce pire, pour qu'en esprit il s'infecte encore.


Le réseau est puits de lumière. Chez Allen, les tragédies si rares comme inversions des comédies multiples, Annie Hall putréfiée en Intérieurs. Les tragédies comme écartèlement des tragédies : Match Point aplati, désossé, vidé de tout panache, devenue Le Rêve de Cassandre. 
Chez Cronenberg, les pourrissements qui tiennent un film à l'autre, construisent l'oeuvre par sursauts épidémiques. Les blessures purulentes qui font des orifices inédits, des obscénités plein le corps : la connectique charnelle d'Existenz, les siamois imaginaires de Faux-Semblants, et dans Cosmopolis la main percée qui n'a pas le temps de pourrir. Qui pourrira plus tard dans l'oeuvre, à un autre lieu du corps. 

Je voudrais laisser cette comparaison, qui ne devait être qu'amorce. A priori, rien de commun ou presque entre ces deux personnages. Ni les desseins, ni les grands schèmes, ni l'âge. L'un des deux est gâteux, n'en déplaise à beaucoup. Il radotera jusqu'à la fin de ses jours. L'autre a erré et errera, mais il a encore bien des choses à dire. 


Pourtant, à forcer ainsi les parallèles on dirait que l'alliance tient d'elle-même, si absurde qu'elle semble. Je ne vous parlerai pas du film. Je ne sais pas vraiment si je l'ai aimé. Il m'a vivement intéressée par grandes lignes et par fragments, dont il serait ennuyeux à mourir de vous faire la liste. Quand à aimer Cronenberg, c'est comme aimer Michael Haneke ou Lars von Trier : ça ne se fait pas. 

Dans la salle, à intervalles réguliers, des gens riaient. MK2 Beaubourg, vendredi soir, pas grand-monde. Il faut dire que la salle est assez minable. Devant moi, un couple rit plus fort et plus souvent que les autres. Au bout d'un moment, un type à la voix grasseyante un peu ridicule s'énerve : "Ca suffit maintenant devant, non mais c'est quoi ça, z'avez qu'à aller voir des Disney !" et autres grondements moins audibles, aussi ridicules que la voix. Les rieurs la mettent en sourdine quelques instants. Puis recommencent. 


Devant un Cronenberg comme devant un Woody Allen, si personne ne rit, c'est que le film est manqué. La différence, c'est que chez Cronenberg on rit jaune, et la gorge serrée. Mais les deux rires puisent à la même source : une angoisse viscérale de la mort et de tous les chemins - puisque tous les chemins y mènent. Chaque fois, ce rire comme solution temporaire et dérisoire, réaction instinctive de défense. En comédie, il est respiration, retour fugace et nécessaire à l'inconsciente mécanique des corps : inspire, expire, inspire, expire... En Cronenberg, une mécanique forcée, résidu réflexif d'une ère de l'âme où l'on croyait connaître la juste mesure de l'air, et celle du vide. A rebours de ce seul réflexe, il construit quelque chose. Et le rieur, qui croit y échapper, l'atteste.

Noémie

PS : Et Robert Pattinson ? Il est très bien, Robert Pattinson. Ce n'est pas nous, fans de la première heure, qui allions vous dire le contraire. 







3 commentaires:

Anonyme a dit…

A poil!

Anonyme a dit…

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noémie a dit…

Merci, cher Anonyme, d'avoir pointé la faille : le mal est réparé.