25 mars 2012

Devenez espion en trois films

Depuis jeudi, les services de renseignement français ont l'air un peu idiot, et je n'ai aucune envie de rappeler ici pourquoi. La dernière fois que des espions s'étaient payé la honte comme ça, c'était en Septembre 2001. Soit juste après Spy Game - dont la sortie prévue en septembre 2001 a été reportée -, et juste avant La Recrue, dont le seul et unique objectif était de redorer le blason de la CIA (« Nos échecs sont connus, nos succès ne le sont pas », dixit Pacino en manteau noir). L'actualité de ce mois de mars 2012 ressemble enfin à s'y méprendre à un film qui n'était pas un chef-d’œuvre, mais avait le mérite d'être bien renseigné : Secret Défense, de Philippe Haïm. Et ça, ça nous donne un futur coffret de Noël comme on les aime.

Petit rappel des règles du film d'espionnage moderne, avant de commencer : musique électronique, écrans de surveillance qui occupent hystériquement l'image, scène de colère dans une cellule de prison, entraînement, coach impassible et impossible (Redford, Pacino, Lanvin).

Le chef-d’œuvre du trio reste Spy Game. Célèbre pour son duo d’acteurs (Redford/Pitt) plus que pour sa réalisation (le style de Tony Scott était encore un peu fade), Spy Game mérite aussi sa renommée pour sa précision documentaire - signature de Tony Scott, en vérité. Il est facile de savoir si un film d’espionnage voit juste ou fantasme. Moins c’est romanesque, plus c'est ennuyeux, et plus c’est vrai. James Bond ? De la science-fiction. Agents Secrets, de Frédéric Schoendoerffer ? Déjà mieux. Ce qui fait de Secret Défense un excellent film d’espionnage français.

J’ai revu Le Professionnel il y a quelques mois, ça m’a donné un aperçu de l’écart entre une daube d’espionnage qui prend son public pour des chèvres, et un film documenté. Quant à La Recrue, c’est une redite de Spy Game, avec Pacino/Farell en lieu et place de Redford/Pitt. Celui-là pêche par son étrange pédagogie : Pacino explique le métier d’espion avec la gouaille d’un scénariste hollywoodien, pleine de punchlines et d’ultimatums classieux, et le film gagne en divertissement ce qu’il perd en réalisme. Autre problème, plus gênant : il met en scène des individus supposément intelligents mais qui – comme ceux de l'infâme Cars 2 – agissent comme les personnages les plus naïfs qui soient, sans parler de Pacino qui hurle en pleine rue : « Tu es un espion ! » pour son élève qui ne comprend pas quand on lui parle.

Le moment du recrutement est toujours le plus sexy. C’est le moment où le personnage relais traverse le rideau, accompagné par un passeur qui, de sympathique, devient infiniment plus séduisant au moment même où il devient glacial. C’est ce qu’il y a de quasi sexuel dans ce passage obligé : d’une relation superficielle et légère, on passe à quelque chose de plus intime – la véritable identité du passeur – qui ne va pas sans une sorte d’assombrissement des rapports : comme si après une sympathique séance de séduction, deux partenaires pouvaient enfin passer aux choses sérieuses, moins le sourire, plus le plaisir. Lanvin fait cela très bien avec le personnage de Vahina Giocante. Pas un mot lorsqu'il conduit la jeune étudiante prostituée jusqu'au centre de recrutement. Pitt est le roi des ambiguïtés entre personnages masculins. Prenez Fight Club ou Entretien avec un Vampire. Ici, il est tout jeune quand Redford lui annonce qu’il veut l’engager. Et sourit. Pacino, lui, c'est la brute. Il envoie balader Farrell qui lui réclame un repas en tête à tête. C’est assez joli à voir. Farrell n'est pas mauvais en débutante (c’est une façon d’apprécier Alexandre, d'ailleurs).

Or donc,

Ce que je sais de l’espionnage en trois films


* * *

1. RENSEIGNEMENT

Secret Défense : « Pour exploiter du renseignement, vous devez recouper les informations collectées avec des faits tangibles. »

La Recrue : ce qui est intéressant, c’est qu’il faut avoir conscience du Bien, mais être aussi capable de mentir et de voler pour ce Bien, savoir aller et venir entre le légal et l’illégal, le bien perverti et le mal nécessaire, et vivre avec. D'où les deux balles de trop tirées jeudi, j'imagine. Quand un personnage risque de devenir un symbole, on l'élimine. Il fallait couper la tête de Louis XVI. Il fallait descendre Ben Laden. Etc.


2. PATRIOTISME

Le mot « patriotisme » a toujours l'air un peu dégoûtant ailleurs que chez les extrémistes. Mais les bonus de Spy Game expliquent bien que, chez Obama comme en France, un véritable "amour de la patrie" est la condition sine qua non à l’enrôlement dans les services secrets.



3. DEVENIR FONCTIONNAIRE

Secret Défense encore : « Ton contrat avec l’état français. Lis-le bien, si tu signes, tu ne pourras plus rien prévoir pendant les cinq années qui viennent. »

L’individualité est niée. Chose impliquée par le simple fait de devenir fonctionnaire. Ici cependant, l’état se sert de vous de manière beaucoup plus autoritaire que si vous êtes prof ou flic. De manière plus valorisante aussi. Al Pacino et ses punchlines, dans La Recrue : « Vous venez de traverser le miroir. »

Secret Défense : être espion est un métier à la con. On n’est jamais que « fonctionnaire de l’état ». Redford passe le film dans un bureau. Son plus grand fait d’armes ? Passer un coup de téléphone. Les vrais espions savent mieux lire les journaux que tirer au pistolet.

Beaucoup d’entraînement physique dans les trois films, mais le plus important est de conditionner l’esprit : apprendre à obéir, à se sacrifier, voire à sacrifier d’autres personnes. Passage obligé, règle du genre : toujours un agent meurt et le débutant est scandalisé. Leçon numéro 1 : le gouvernement passe avant l’humain. Allez dans les cimetières militaires, Caen, Verdun. Les noms sur les croix blanches sont des noms de fonctionnaires.


4. MÉMORISER

Une mémoire photographique est fondamentale. On ne peut pas se permettre de ne pas connaître par cœur le réel. Dans ses moindres détails. Secret Défense, première leçon de Vahina Giocante : une comédienne tire sur le professeur et s’enfuit. Le professeur se relève et demande aux élèves terrifiés la couleur des yeux, les vêtements, le visage de la tireuse, plus le nombre de coups de feu tirés et leur localisation. Spy Game, première leçon de Brad Pitt : dans un café, il faut mémoriser tout. Snapshot. Prendre des photos avec les yeux. La pièce. Les issues. Les gens. Anything suspect ? La différence entre Secret Défense et Spy Game, et qui fait que le second est quand même une ou deux catégories au-dessus, c’est que Redford donne des conseils plus précis et plus joliment écrits que Lanvin, qui se contente de donner du spectacle : mais c’est du cinéma français, soyez indulgents, quoi.


5. MENTIR

Les services secrets envoient souvent les débutants accomplir les missions les plus importantes, parce qu’ils sont encore inconnus des services étrangers. Il faut toutefois quand-même apprendre à se camoufler. Secret Défense : lequel de ces trois métiers est la meilleure couverture ? Avocat, comptable ou dentiste ? Réponse : pas avocat. Parce qu’on a accès aux secrets. Pas dentiste : parce que c’est une technique que l’on ne peut simuler. Comptable, c’est parfait. Spy Game : Redford demande à Pitt d’obtenir des informations d’une inconnue. Redford lui explique que son stratagème est raté parce qu’il lui a réclamé d’échafauder plusieurs mensonges qu’il s’avérera fastidieux d’assumer. Conseil de Lanvin pour mentir, dans Secret Défense : « S’il te demande ce que tu as fait ? Demande-lui de te faire confiance. La confiance : y a rien de tel pour mentir. »

Apprendre à mentir, c'est apprendre à séduire. Spy Game : Redford demande à Pitt d’apparaître au balcon d’un appartement en moins de cinq minutes. La Recrue : dans un bar, la mission est de ramener une fille en moins de cinq minutes. Secret Défense : Lanvin demande à Giocante d’obtenir l’alliance d’un homme - toujours en moins de cinq minutes, of course.

6. SOLITUDE DES CHAMPS DE BATAILLE

Un espion est un homme seul. Si vous n’êtes pas seul, vous ne serez jamais espion. Des amis, de la famille ? Vous ne le serez jamais.


7. AUTRES QUALITÉS REQUISES

Honnêteté, intégrité, bon sens. Moins de 36 ans. Diplôme minimum : maîtrise. Un diplôme de Lettres n’intéressera personne. Profils recherchés : commerce, finances, relations internationales, sciences. Vos capacités littéraires ne sauveront pas le monde. Pas des bombes, en tout cas. Passé irréprochable. Bonne expression orale et écrite. Pratique d’une langue étrangère. Compétences dans les relations humaines. Capacités à gérer des situations complexes. Et puis... Capacité d’écouter trois conversations en même temps, dans trois langues différentes , tout en sachant choisir ce qui est utile. - bon courage

- et un faux-raccord en cadeau. Toutes les captures d'écran de ce post sans Brad Pitt ou Colin Farrell sont tirées de Secret Défense. Celle-ci aussi, donc. Regardez le reflet, vous y lisez le nom de la station inversé : Saint-Placide. Ligne 4. Regardez au bout du couloir, le panneau indique une correspondance avec la ligne 11. Or la correspondance entre la ligne 4 et la 11 a lieu à Châtelet, pas à Saint-Placide. Conclusion : on était bien à Porte des Lilas, sur le quai de la ligne 3bis qui sert de décor à toutes les stations de toutes les époques de tous les films... Et les décorateurs se sont fait piéger. Bon dieu, Robert Redford aurait été fier de moi.

Camille.

Spy Game, de Tony Scott

La Recrue, de Roger Donaldson

Secret Défense, de Philippe Haïm.

2 commentaires:

AudreyL a dit…

Article très bien écrit, qui donne envie de replonger dans ces trois très bons films.
Si je peux rajouter mon grain de sel d'apprenti espion, l'image montrant la liste des morts pour la France développe des noms vraiment absurdes et peu réalistes : mustang, café, iceberg...?

Camille B. a dit…

Merci ! Enfin attention : La Recrue est certes un film intéressant, mais ce n'est pas très bon (le face à face fauché à la fin dans un hangar... pfouh.) Mieux vaut se repasser Spy Game, et jeter un coup d'oeil à Secret Défense. Quant aux noms fantaisistes ce sont les noms de code. Il t'en foudra un, ô apprentie espion (ou spionne ?). Les espions, c'est comme les Men in Black. On doit jamais savoir qu'ils en ont été. Donc on peut pas mettre leurs vrais noms sur les plaques. Et comme ils choisissent des noms de code qui les font marrer... ça a un petit côté poétique (tout petit)