6 mars 2012

Cheval de Spielberg

Je suis convaincu d'avoir aimé War Horse, en dépit du fait que je n'en sois pas ressorti avec l'envie furieuse d'écrire des pages sur mon amour ravivé de Spielberg après la déconvenue Tintin. Ce n'est pas bon signe mais après tout, peut-être l'homme est-il lassé que les gens se ruent sur ses films en criant SPIELBERGIEN ! et que son dernier film est volontairement, lâchons le mot, déceptif ("volontairement décevant", "trompeur", "masqué). Je suis ressorti de War Horse sans l'avoir trouvé plus SPIELBERGIEN qu'autre chose.

Ceci dit, bon,

Il me semble qu'il y a deux choses à dire sur War Horse

La première

Est un peu longue à expliquer.

* * *

Spielberg fait souvent des films pour se racheter. Parce que, ce n'est pas un scoop, il y a un Spielberg-gentil et un Spielberg-méchant (copyright quelqu'un d'autre pour le nom donné à cette bipartition époustouflante).

Par exemple, l'infâme E.T. est une manière de se faire pardonner du magnifique 1941 ; même si du point de vue du box-office, c'est l'inverse.

Indiana Jones et le Temple Maudit pèse lourd en termes de culpabilité. Misogyne et sadique, pervers, absolument virtuose : vite, vite, deux films adultes, La Couleur Pourpre, Empire du Soleil, pardon les gars, pardon et encore Indiana Jones et la Dernière Croisade. Pardon, crie la filmo de Spielberg pendant la deuxième moitié des années 80 (en attendant, il a épousé l'actrice principale du Temple Maudit et il est toujours avec).


Les Jurassic Park, la honte, la honte. La Liste de Schindler pour faire passer le premier. Amistad pour faire passer le deuxième. Alors pourquoi Spielberg est l'un des meilleurs ? Parce que cette histoire de honte, c'est un carburant du tonnerre.

Bon, il lui arrive de se planter (et encore, c'est relatif) : Always, Amistad, Terminal, Tintin.

Mais il excelle quand il cherche à se faire pardonner : Rencontres du 3e Type, Empire du Soleil, Schindler, Munich... War Horse (je vais m'expliquer, un peu de patience)

Même si la contrition ne le motive pas autant que l'abandon à ses penchants mauvais : Les Dents de la Mer, Indiana Jones et le Temple Maudit, Jurassic Park, La Guerre des Mondes.

Et quand il trouve son équilibre, son assiette (puisqu'il aime les avions), apparaissent les chefs-d’œuvre : Duel, Les Aventuriers de l'Arche Perdue, Soldat Ryan, Minority Report.

Je sais : où sont Hook, Indiana Jones 4, A.I. et Arrête-moi si tu peux ? Ceux-là, la plupart des gens les ont d'ores et déjà classés dans les catégories que vous savez. Pas moi. J'hésite. Les premiers sont des cas à part, et je ne suis pas fou amoureux des seconds autant que de ceux que j'ai appelé chefs-d’œuvre.

De quoi Spielberg cherche-t-il à se faire pardonner avec War Horse ? Eh bien de Tintin, pardi. Pour une raison très claire : la performance capture, le cinéma tout numérique, c'est bien joli, mais c'est si terriblement PROPRE. Pas de costumes... Pas de poussière... Pas de sueur et pas de caméra. D'ailleurs Spielberg a insisté pour "faire entrer une caméra dans le volume", comprenez : filmer avec une vraie caméra ce que James Cameron s'était contenté d'enregistrer sous forme de données numériques pour Avatar.


Vous vous êtes peut-être demandés à quoi servait la première heure de War Horse. Maintenant, vous avez la réponse. Il est uniquement question de RETROUVER LA TERRE. Regardez la magnifique scène du labour. On est tous sous la flotte, on est trempés, la terre est noire, on la sent, on a envie de s'y rouler, on se dit que Spielberg devait être si heureux à l'idée d'avoir payé des machinistes pour labourer un bon vieux champ à l'ancienne des familles, ça devait changer des infographistes en chemise à motif. C'était la phrase-clé de la promo : "Il n'y a que trois plans retouchés numériquement dans Cheval de Guerre ! Tout le reste est réel." [A ce titre, la scène du saut raté par-dessus une tranchée présente clairement un cheval en images de synthèse, pour les deux autres plans je ne sais pas.]


La pluie, la terre, et enfin, de bons mouvements de grue pas trop hybristiques - la scène de l'assaut des Poilus, pas besoin d'un univers numérique pour en tirer un travelling parfait, partant du capitaine qui s'élance au cadrage oblique des Sentiers de la Gloire, qu'avait déjà cité Jeunet dans Un long dimanche de fiançailles, mouvement de recul diagonal strié de types fauchés, splendide.

Les critiques parlent des scènes de bravoure et j'y repense avec un détachement qui me surprend. La charge de cavalerie, la charge de cavalerie ! Oui elle était belle, hein... J'ai pensé à un autre grand maître des chevaux et de la poussière, Ridley Scott, Kingdom of Heaven, la charge devant Kerak. Mon dieu, et je la préfère. Ceci est une chouette compilation de charges de cavalerie, et permet de situer celle de Spielberg - ailleurs qu'au sommet. Celle de ce film australien de 1987, The Lighthorsemen, est d'ailleurs franchement magnifique ; sans parler de celles de Ridley Scott (Gladiator, Kingdom Of Heaven, Robin des Bois), de celle du Retour du Roi ou même d'Alexandre.

Il y a quelque chose de très intéressant dans War Horse, c'est l'absence de sang. La violence est comme esquivée. C'est la métaphore du pigeon voyageur. S'il baisse les yeux, il va vouloir se poser. Donc il survole les tranchées en regardant devant lui. Pas question de refaire Soldat Ryan. C'est la très belle "scène du no man's land", cheval courant dans l'obscurité, harnaché par les barbelés qu'il arrache, traînant comme des boulets les morceaux de bois qu'il emporte.

* * *

Deux grandes choses à savoir sur War Horse,

Et la deuxième,

C'est que War Horse est avant tout un film expérimental, une série de croquis intitulée "COMMENT FILMER UN CHEVAL" - manuel à l'usage des petits malins qui ne filmeront que des bestioles de synthèse. Spielberg a beaucoup ressorti ces derniers temps l'histoire de sa rencontre avec John Ford qui lui avait dit que mettre l'horizon au milieu du plan était un signe de grande bêtise. Bon, les conseils que donnait papa Ford dans les années 70, on peut en revenir, et on en voudra pas à Spielberg de mettre l'horizon en plein milieu du plan à la fin de War Horse. Et de toutes façons, c'est pas l'horizon qu'il veut filmer. C'est le cheval.



Osmose caméra/nature, quoi. C'est Félins, c'est Bovines. Comment sublimer les courbes d'un animal. Le summum du sublime (j'y peux rien, quand je parle de Spielberg ce genre de tournures viennent toutes seules) étant la course-poursuite entre la voiture et le cheval, au début. Parce que Spielberg a déjà fait son traité de l'automobile. Depuis Duel. Depuis le plan-séquence taré de La Guerre des Mondes. Depuis la séquence d'ouverture d'Indiana Jones 4, à laquelle cette scène de War Horse fait beaucoup penser.
Le cheval et la voiture, la nature et la technologie, la boue et le volume, la pellicule et les ordis.
Spielbergien.

* * *
Toutes les captures de ce post sont tirée du premier et du troisième Indiana Jones, les seuls films de Spielberg avec des chevaux, si je ne me trompe pas (avec peut-être Schindler et Amistad ?). Je pensais que c'était une des signatures d'un Indiana Jones, les cavalcades, et le quatrième en manquait cruellement. De la à dire que Spielberg a fait War Horse pour se racheter d'avoir fait Tintin ET Indiana Jones 4 (deux versions d'un seul et même film, qui plus est), il n'y a qu'un pas - qu'on peut franchir au galop.


Beautiful.

(The Horse in Motion, chronophotographies d'E.Muybridge, 1878)


Camille.

P.S. Je n'ai pas mentionné le plan-séquence de la scène où le cheval court le long d'une tranchée, devient numérique, saute, tombe, redevient réel, repart. Mais vous l'aviez fait pour moi, je n'en doute pas.

2 commentaires:

Ed a dit…

J'adore ton introduction pour une raison : je suis sorti "déçu mais pas que" du film, en ayant beaucoup de mal à éclaircir ce sentiment... Il m'a fallu un billet pour manifester ma déception, et le résultat a été que j'en ai donné envie à des gens d'aller le voir !... Incompréhensible en théorie, si tu ne résumais pas assez bien ce paradoxe.

Pour le reste, j'adhère sans réserve à ta théorie des film rédempteurs chez Spielberg. Sans réserve à un détail près : oui, je suis de ceux qui classent Arrête-moi si tu peux parmi les chefs-d’œuvre, et j'assume totalement. Ce film est une merveille. Bref.

Pour moi, la grande difficulté de Cheval de guerre tient surtout dans la contradiction intenable entre l'épopée classique (se voulant classieuse, en tout cas) et le film post-Tintin (que j'ai aimé, pour des raisons dans l'exposé desquelles je ne me lancerai pas ici). Du coup, c'est un grand film énervant parce qu'on n'est pas dans les bonnes conditions pour l'apprécier.

Enfin : vivement le suivant, en somme...

Camille B. a dit…

Robopocalypse va être un chef-d'oeuvre total ! Lincoln, j'ai des doutes. Mais ROBOPOCALYPSE quoi

hâte de revoir War Horse en dvd aussi, de pouvoir regarder séparément la première heure et la deuxième, tout en passant les dialogues un peu chiants....