21 février 2011

Sous l'océan 3 : 20 000 lieues sous les mers



« Vous allez voyager dans le pays des merveilles. L’étonnement, la stupéfaction seront probablement l’état habituel de votre esprit. Vous ne vous blaserez pas facilement sur le spectacle incessamment offert à vos yeux. »

Si Jules Verne avait eu 183 ans cette année, il aurait sans doute attendu les vacances parisiennes pour organiser une fête. L’écrivain étant né le 8 février, celle-ci aurait pu avoir lieu, disons, ce soir. Nous serions venus avec une bouteille de Chablis pas trop chère, aurions territorialisé près du frigo, et puis il serait passé nous voir.

Nous l’aurions félicité pour son succès aux USA : dans l’univers virtuel de Tron Legacy, l’un de ses romans a été reprogrammé pour la survie mentale du prisonnier joué par Jeff Bridges. Nous aurions ensuite cédé à la tentation d’évoquer notre topic sur les films de sous-marins. USS Alabama, U-571, K-19

- Et 20 000 lieues sous les mers ? aurait-il remarqué.

- Le film de Richard Fleischer sorti en 1955 ?

- Oui.

Nous serions rentrés, et nous serions empressés d’écrire le post suivant.

Comme les films en costume, les films sur les handicapés, et les biopics, les films de sous-marins ne sont jamais loin des Oscars. U-571 avait remporté les meilleurs effets sonores. K-19 est réalisé par Katryn Bigelow oscarisée l’année dernière pour Démineurs. En 1955, Disney produit une adaptation de 20 000 lieues sous les mers qui lui vaudra l’Oscar des meilleurs effets spéciaux – chose que l’on peut trouver risible tant le calmar n’impressionne plus personne, mais il n’y avait pas que le calmar. Filmer la maquette du Nautilus était une gageure, donner l’illusion permanente de l’immersion fut un défi que releva brillamment l’équipe dirigée par Richard Fleischer (qui n’avait encore réalisé ni Le Voyage Fantastique, ni Tora ! Tora ! Tora !, ni Soleil Vert, ni Kalidor).


En 1955, 20 000 lieues sous les mers est donc l’un des tous premiers films de sous-marin à grand succès ; et ce n’est pas une surprise si 3 ans plus tard, Robert Wise sortira Run Silent Run Deep (L’Odyssée du sous-marin Nerka en VF), avec Clark Gable et Burt Lancaster (si on le voit, on vous le fera savoir).

En 1869, Verne avait déjà pensé à la plupart des passages obligés que nous avons relevés avec les films de Scott, Mostow et Bigelow. Exception faite, peut-être, de la fameuse Scène de l’Immersion. Parfois dramatisée à l’extrême en tant que telle (USS Alabama), parfois filmée en tant que telle, mais du point de vue des soldats (U-571). Une chose est sûre, la plongée est un événement cinégénique : dans le roman, Verne n’en fait pas mention. « Tout semblait mort à l’intérieur de ce bateau. Marchait-il, se maintenait-il à la surface de l’Océan, s’enfonçait-il dans les profondeurs ? Je ne pouvais le deviner. », se demande le professeur Aronnax. En réalité, il est déjà sous l’eau ; on en a la confirmation quelques dizaines de pages plus loin, quand Nemo annonce qu’ils vont remonter à la surface.

Impossible pour Fleischer de la filmer aussi en tant que telle, il ne s'agit là que d'un élément dramatique comme un autre. La Scène de l’Immersion n’est que la scène de l’immersion, ce dont se sert Nemo pour tester le courage de ses invités. Le capitaine est trop célèbre, il est devenu synonyme d’Océan (regardez Nemo’s World, paraphrase pour l’océan). Entrer dans le monde sous-marin, c’est entrer dans le monde de Nemo ; l’immersion est le moment où le pacte est scellé, où les invités sont acceptés à l’intérieur du Nautilus.

Il y a La Scène Où On Plonge Trop Profond.

Il y a Le Conflit Entre Le Commandant Et Le Second – disons, l’animosité entre les têtes d’affiches : Hackman/Washington ; Harrelson/Paxton ; Ford/Neeson, et ici, Douglas/Mason, soient Ned Land et Nemo, qui se détestent. Tout est bon pour accentuer le sentiment de claustrophobie : la fameuse scène de la brèche, comme l’enfermement forcé avec des gens que l’on ne supporte pas.

Il y a même, lorsqu’on a faim, une histoire de nucléaire. Après tout, 20 000 lieues se déroule 12 ans seulement après l’histoire de U-571, et 7 ans avant celle de K-19 : c’est la Guerre Froide, le début des embrouillaminis nucléaires que l’on retrouvera jusqu’à USS Alabama… A l’époque de Verne, le summum de la technologie, c’était l’électricité ; en 1955, c’est le nucléaire. Scoop : le Nautilus est un sous-marin nucléaire.


Le film de Fleischer a beau sembler cohérent à travers son respect de codes à venir, certains de ses aspects ont pris de l’âge. Le personnage de Kirk Douglas, d’abord : son Ned Land est un abruti. Un fanfaron incapable d’envisager les choses au-delà de la seconde suivante. Jouer du banjo, faire le con avec une otarie, ça, il sait faire. On ne confierait jamais le rôle de héros ou de personnage relais à un personnage aussi peu fiable de nos jours ; même Vin Diesel dans Fast & Furious inspire plus confiance. Le petit gros, c’est Conseil, incarné par Peter Lorre. Kafka sous les mers.

Même décalage en ce qui concerne quelques incohérences du décor : une fontaine à l’intérieur d’un sous-marin, vraiment ? Un aquarium ??? Quant à la scène où les chasseurs sortent molester des tortues de mer, elle met aujourd’hui particulièrement mal à l’aise.

Mais la faune est partie intégrante de 20 000 lieues sous les mers, ce qui le distingue de tous les autres films de genre, dans lesquels les animaux sont absents. Il n’y a pas que le calmar, il y a aussi une scène d’attaque de requin dans une épave au trésor – scène copiée sur Tintin et le Le Trésor de Rackam le Rouge, sorti 10 ans plus tôt, en 1944 ; il faut donc s’attendre à voir cette scène du film de Fleischer retournée en 3D, par Spielberg, dans son Tintin.

Souvenez-vous, nous vous l’avions dit dans le post précédent : environnement sous-marin et 3D font bon ménage. Vous ne serez donc pas surpris d’apprendre que 20 000 lieues sous les mers connaîtra une version 3D en 2012. Dit comme ça, ça ne vous fait peut-être ni chaud ni froid.

Un détail, alors : ce sera le premier film en 3D de David Fincher.


Camille

Aucun commentaire: