19 octobre 2010

Sous l'océan 2 : K-19

K-19, le fabriquant de veuves. De Katryn Bigelow.


C'est Peter Saarsgaard. Il a peur de mourir.


Ca, c'est ce qu'on appelle communément un masque mortuaire. En général, on le met sur les gens quand ils sont déjà morts. Dans K-19, Peter Saarsgaard l'enfile lui-même, de son vivant.

Ceci est une réécriture du radeau de la méduse. A 100 millions de dollars, en 2002.

Comme Warren Beatty a produit Bonnie & Clyde pour relancer sa carrière, en 1967, Harrison Ford a co-produit K-19 pour relancer la sienne. Ce qui se produit quand un acteur produit un film dans lequel il joue : il y excelle.

Le style, tout en détails, de K.B. Dans Démineurs, un homme essuie la sueur sur le visage du sniper. Dans K-19, un marin essuie la buée sur les lunettes de celui qui est entré dans le caveau où réparer le réacteur nucléaire.
Et comme dans Démineurs, il n'y aura pas ici d'action à proprement dit : de la même façon que Jeremy Renner s'acharne à empêcher le spectacle des explosions en Irak d'avoir lieu, il s'agit ici de désamorcer un sous-marin nucléaire russe. La première partie de K-19 aussi consiste à esquiver la vraie action, puisqu'il n'y est question que des entraînements que le camarade-capitaine Vostrikov inflige à son équipage. Avant l'accident, qui n'est toujours pas la vraie action, mais inocule une angoissante réalité à la nécessité d'agir des personnages.

Oui, parce que le réacteur fuit. On a entendu l'Adagio au Clair de Lune de Beethoven, musique classique et images sous-marines, un peu comme dans Master & Commander, sorti un an plus tard ; et un peu comme Panic Room, sorti au même moment, dans lequel la caméra traverse les murs, Bigelow a traversé toutes les parois métalliques jusqu'à l'endroit où ça pète. A la fin de l'Adagio, à la fin du travelling impossible, le réacteur s'est mis à fuir. Les marins-démineurs russes de ce sous-marin géant - en images de synthèse, une première par rapport à USS Alabama et U-571, qui n'utilisaient que des maquettes - entrent donc dans la chambre mortuaire où ils attraperont le cancer. Un cancer foudroyant, incroyable déflagration émotionnelle. K.B. est une femme qui réalise des films d'hommes qui se font mal. C'est une maître ès violence. On a les larmes aux yeux quand les marins ressortent à l'air libre.

Ceci est un marin ressorti à l'air libre. La croix, symbole de l'opium du peuple, donne une impression d'américan-touch ("May god be with you") et en même temps souligne que ces types, terrifiés par la mort, n'avaient d'autre choix que de renier leur communisme natal pour retourner à une foi rassurante.

Harrison Ford au sommet de sa forme. On sait qu'un acteur est au sommet de sa forme quand il donne l'impression d'être possédé par Marlon Brando. Ici, Harrison Ford en Colonel Kurtz.

Souvenez-vous. C'était en juin, je crois. On avait pompeusement inauguré un tag "Sous l'océan" consacré aux films de sous-marin parce que vraiment personne n'en parlera jamais assez. J'avais écrit sur USS Alabama de Tony Scott et U-571 de Jonathan Mostow, et à la fin je disais : prochain volet, K-19. Bon, voilà, l'été a passé, la nature se prépare à mourir (les affiches du Royaume de Ga'Hoole vont d'ailleurs particulièrement bien avec la lumière d'automne, je trouve) et il serait temps de tenir parole. Alors on a regardé K-19, de Katryn Bigelow.

Des trois, c'est clairement le meilleur. USS Alabama est un blockbuster de chez Bruckheimer ; pro-américain, naïf, pas de troisième adjectif, tant pis pour la cadence majeure. Et U-571 est un film d'action, dans lequel le sous-marin est un outil de jeu vidéo à secouer dans tous les sens, avec des américains dans un sous-marin nazi, aussi étrangers à leur vaisseau qu'un gamer de base est étranger au personnage de Zelda qu'il secoue avec sa manette Playstation. On avait aimé U-571, hein, pas de méprise. Et on aime Zelda aussi, d'ailleurs. Le fait est que, comparé aux deux autres, K-19 est le seul vrai film.

USS Alabama est une pièce de théâtre classique, en fait. Respect des 3 unités, remember. Et U-571... Mince, je me répète. Un film d'action, oui. Tout ça pour entériner l'idée d'une trilogie du film de sous-marin étendue de 1995 à 2002 : quels autres films important pourrions-nous citer ? Les autres grands films de sous-marin - Das Boot, A la poursuite d'Octobre Rouge - sont antérieurs à tout ça. Plus rien depuis, parce qu'aujourd'hui le cinéma d'action a besoin d'espace. De place où ranger les images de synthèse à 1 million de dollars. K-19, en 2002, ne savait déjà plus trop où les mettre, si ce n'est dans quelques inserts où la caméra se retrouvait dans le sillage des hélices de l'engin numérique propulsé vers la surface (mais c'est vraiment très joli et dynamique et tout ce que vous voudrez).
Ce que nous avons découvert : le film de sous-marin est un genre plus codifié encore que le western. C'est-à-dire que les passages obligés sont encore plus précis. Il n'y a pas 36 choses à faire dans une boîte de conserve. 1) Plonger au plus profond (Bigelow rend ça très bien, fait très peur, on voit la tôle se tordre depuis l'extérieur) 2) Se foutre sur la gueule au plus profond. D'où la récurrence de la scène de mutinerie. Le capitaine et le second DOIVENT se détester. Bon, dans U-571, le capitaine (Bill Paxton) meurt vite. Mais dans K-19, le capitaine est Harrison-Indiana Jones-Ford, et le Second, Liam-Qui Gon Jinn-Neeson. Deux pointures, en somme. Les scènes d'acteur décoiffent. On est toujours, encore un peu, au théâtre. K-19, en bon 3e épisode de cette trilogie des sous-marins, reprend le meilleur de ce qui s'était fait avant lui.

Le cinéma d'aujourd'hui a besoin d'espace, et de fait, en regard de ce qui constitue les codes du film de sous-marin (hommes enfermés dans une boîte de conserve et mutinerie) - le dernier film de sous-marin en date n'est autre que Star Trek, petite merveille de blockbuster signée JJ Abrams (foncez voir sur YouTube le teaser de son prochain film, Super 8, et jouissez). Mais Armageddon aussi était un film de sous-marin, for chrissake ! Oh ! Mais le scénariste d'Armageddon s'appelait JJ Abrams aussi. C'était le même type que le réalisateur de Star Trek, en fait.
Mais revenons-en à K-19. Et revenons-en à la Guerre Froide, comme à l'époque d'USS Alabama. Sauf qu'on était alors restés du côté des Américains. C'était l'épisode I de la trilogie de l'immersion. L'épisode II, U-571, impliquait un premier déplacement de perspective : les américains se retrouvaient dans un sous-marin allemand. Ce qui s'appelle épouser le point de vue de l'ennemi. K-19, troisième partie dialectique oblige, opère une synthèse des épisode I et II (les hollywoodiens sont de grands dialecticiens) : retour à un film fabriqué depuis un seul camp, mais cette fois, le passage d'un camp à l'autre ayant eu lieu dans l'épisode II, on est chez les Russes. La Guerre Froide vue de l'autre côté. Magnifique. Et de fait, c'est à nouveau la même histoire que chez Tony Scott : est-ce qu'on déclenche la guerre nucléaire ou pas ? Est-ce que, depuis cet espace exigu où j'essaie de passionner mon public, je détruis le monde entier OU PAS ? (Sauf que dans K-19, c'est involontaire. Le K-19 fuit. Inspiré de faits réels : ces hommes ont vraiment sauvé le monde en 1962 : il fallait empêcher leur bombe nucléaire de black submarine d'exploser à proximité d'une base de l'OTAN, ce qui impliquait d'aller choper le cancer en réparant la plomberie du système de refroidissement.)

Ce qui reste, c'est que comme dans USS Alabama, l’ennemi est invisible : ce sont les radiations. Le film de sous-marin est toujours une métaphore de l’ennemi intérieur, de cet ancien savoir qui veut qu’on est toujours soi-même son propre ennemi. George Lucas lui-même le met en scène au moment où Luke, dans L'Empire contre-attaque, descend dans la grotte de Dagobah et décapite Dark Vador, pour découvrir son propre visage derrière le masque.
Dans le sous-marin, on est enfermé avec soi-même. Et on s’affronte soi-même, toujours. Pas l'adversaire, pas la guerre, pas la paix. On s'en fout. Mais soi. Son propre pays. Sa propre capacité à donner des ordres et à en recevoir. Son courage, sa soumission. D'où le passage obligé de la mutinerie. Il n'est pas simple d'accepter que notre perte ne peut être causée que par nous.

... Voilà. Forrest Gump dit "That's all I have to say about Viet-Nâm", aussi, de la même manière, vous dirai-je enfin :

"That's all I have to say about submarine movies."

Camille.

3 commentaires:

Locus Solus a dit…

That's all?
Et Octobre Rouge alors?

Camille B. a dit…

Ah, mais on fera peut-être un prequel... (ou deux)

Anonyme a dit…

Découvert il y a peu de temps un - le ? - classique du genre: Run Silent Run Deep de Robert Wise avec Clark Gable et Burt Lancaster; effets spéciaux fleurant bon les années 50 mais fantastique duel entre monstres sacrés... A voir !!!